Food Service Vision a publié la 1re édition de sa « Revue stratégique » dédiée aux conséquences du Covid-19 sur le secteur du food service. Une présentation spécifique a été faite le 14 avril aux magazines phares de la profession, dont B.R.A. Tendances Restauration. En voici notre synthèse.
«Cette crise touche l’ensemble du food service à des degrés divers et va modifier en profondeur les comportements des consommateurs et des professionnels, a indiqué d’emblée François Blouin. Depuis 15 ans, nous suivons toutes les transformations du secteur. Celles que nous voyons venir, et celles qui arrivent de manière brutale, comme celle-ci.»
En préambule, le dirigeant-fondateur de Food Service Vision a précise que l’année 2019 fut globalement positive : «Le marché domestique a bien tourné, sous l’effet du tourisme et de la livraison, et malgré les impacts des Gilets jaunes et des grèves». La cabinet d’études et de conseil estime un taux de croissance pour le secteur de l’ordre de +2% en 2019, qui sera affiné d’ici peu avec la parution du Panorama B.R.A. début mai. «Le début d’année 2020 se présentait sous de très bons hospices», a aussi relevé François Blouin. Mais l’histoire s’écrira autrement.
> Des premiers signaux… à l’arrêt brutal
Food Service Vision a vu les premiers signaux d’un changement fin janvier 2020. «Nous avons alors mis en place une équipe de veille sur la situation ; et nous avons décidé de proposer des « Revues stratégiques » regroupant des constats, des chiffres-clés, des conseils et des éléments prospectifs.» La 1re édition de cette étude est le fruit de 25 interviews de décideurs du secteur, tant côté restauration que côté alimentation et distribution.
Le cabinet annonce ainsi des baisses de CA en CHR de -1% en janvier et -4% en février, surtout dues à une baisse de flux touristiques. En janvier, le monde a ressenti «les premiers impacts du Covid-19, avec l’arrêt de certaines chaînes, les premiers signaux, les premiers symptômes…» En février, l’Italie a été touchée, le tourisme a commencé à ralentir, les premiers événements ont été annulés, «nous avons commencé à avoir un premier niveau de baisse en France».
«Tout s’est accéléré sur la première quinzaine de mars», rappelle Food Service Vision, qui parle de -15% en valeur pour les CHR. Début mars, «le marché a commencé à décliner sérieusement», avec un net ralentissement des échanges avec les partenaires commerciaux. Le « switch » était fait, avec un «début d’inquiétude généralisé».
Les décisions et annonces successives, entre le 13 et le 16 mars, ont entraîné «un arrêt du food service en quelques jours, comme on n’en avait jamais vu». Food Service Vision relève le fait que la plupart des acteurs de la restauration chaînée ont «décidé d’arrêter leurs activités même si légalement ils pouvaient proposer de la VAE ou de la livraison». L’exode urbain a aussi eu «des conséquences sur toute la chaîne de valeur des secteurs de la restauration et de l’alimentation». Synthétisant les réactions des différents syndicats et acteurs du secteur, Food Service Vision évoque un «phénomène extrêmement brutal, d’une ampleur inédite dans l’histoire de la RHF». Depuis le 14 avril, la voie vers un déconfinement «très lent» est ouverte. Mais comment le secteur se sortira-t-il de cette crise ? Eléments de réponses avec les prévisions et conseils de Food Service Vision.
> Une crise intense… et une grande solidarité
La tendance consolidée est évaluée par Food Service Vision à -16% de CA pour les CHR sur l’ensemble du 1er trimestre, soit 3,5 milliards de CA et 430 millions de repas perdus. «En équivalent, nous estimons que les fournisseurs des CHR ont perdu plus d’1 milliard d’€ en mars», ajoute François Blouin. Et la situation se poursuit en avril, avec quelque «160 millions de repas perdus par semaine, tous segments confondus».
La restauration commerciale est «clairement en première ligne», avec une perte de CA de –88% sur les 2 premières semaines du confinement, en mars. Même la restauration rapide, en partie en activité, enregistrerait -70% de CA en moyenne. Les boulangeries-pâtisseries maintiendraient 50% de leur CA, au global là encore. «Sur ce créneau, nous observons un retour aux fondamentaux, pains et viennoiseries notamment, l’activité snacking étant quasiment à l’arrêt.» François Blouin évoque aussi un «transfert de consommation de la restauration hors domicile vers la grande distribution, donc la consommation à domicile».
La restauration collective souffre moins, une partie de ce segment n’ayant pas été touchée par la crise. La réouverture progressive des écoles à partir du 11 mai le relancera aussi «plus tôt que ce que nous pouvions imaginer», avec toutefois la nécessité de revoir la gestion des offres.
François Blouin a tenu a préciser que l’ensemble du marché de la RHF a fait preuve d’une «générosité extrême» au moment où il s’est effondré, qu’il poursuit alors qu’il souffre. «Ses acteurs ont choisi de donner et partager leurs ressources avec ceux qui en avaient le plus besoin. Tout le monde s’en souviendra.»
Des changements forcés… et des adaptations nécessaires
Pour la suite, François Blouin précise que «l’essentiel des hypothèses qui conditionnent un redémarrage de la filière ne dépend pas de nous. C’est intimement lié aux décisions politiques et de santé publique». L’annonce d’Emmanuel Macron du 13 mars « donne une visibilité claire de sortie de crise pour la restauration scolaire, permet d’envisager une relance partielle pour la restauration rapide, mais laisse un point d’interrogation massif pour la restauration à table », résume François Blouin.
Il est toutefois clair pour Food Service Vision qu’il y aura une «logique» dans ce retour à l’activité : «Le redémarrage sera progressif, il ne sera pas en V (soudain) mais se fera sans doute par paliers, notamment en suivant les conditions du déconfinement et du retour de la demande des actifs.» En clair, la « restauration fonctionnelle » redémarrera plus vite que la « restauration expérientielle ». Un élément favorable serait «les potentielles réallocations des économies réalisées sur les postes voyages et essence vers les restaurants, bars et hôtels en France».
Voici, en outre, quelques sujets-clés pour la reprise, selon Food Service Vision :
♦ La crise engendre une accélération d’intérêt pour tout ce qui est circuits courts. « D’une part il y a une demande croissance des consommateurs, d’autre part les distributeurs ont décidé de développer ces gammes d’eux-mêmes. Les acteurs, y compris les chaînes, sont en train de relocaliser leur sourcing. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il va s’accélérer.»
♦ La vraie rupture, pour Food Service Vision, concerne le rapport à l’hygiène dans l’offre et le parcours-client. «Et alors qu’on annonçait un monde sans plastique et sans emballage, le ‘plastic bashing’ est mis entre parenthèses», car ce produit rassure, protège et sécurise (notamment en VAE et livraison). Il y aura aussi «un enjeu de formation pour le personnel, au sujet de leur sécurité et de celle des clients». Ce qui devrait notamment se mettre en place, côté règles de sécurité, c’est la distanciation entre les tables et la mise à disposition de gel hydroalcoolique.
♦ Un autre rupture créé par la crise Covid-19 concerne la transparence. Il est essentiel de communiquer sur l’ensemble des décisions prises et des actions mises en place, et il sera essentiel de communiquer demain sur la préparation et le service. «Plus les consommateurs sont inquiets, mieux il faut les informer…» rappelle François Blouin, pour qui «il est primordial de garder le lien avec les clients, mais aussi avec ses salariés», notamment via les réseaux sociaux.
♦ L’une des difficulté post-confinement sera de concilier le plaisir et la convivialité de la RHF et cette nécessité de sécurité ? « Pourraient s’inventer de nouvelles façons de créer du lien et de la convivialité, de nouveaux rituels d’apéritifs par exemple », imagine Food Service Vision.
♦ Une autre équation qu’il ne sera pas aisé à résoudre concerne le rapport qualité-prix. « Les nombreux changements, dont le locavorisme et l’hygiène renforcé, rajoutent des coûts. Alors que la baisse du pouvoir d’achat sera quasi-certaine pour la majorité de la population », pose François Blouin.
♦ Enfin, Food Service Vision pense que la VAE, le click & collect et la livraison feront partie des « gagnants » de la situation. Les restaurants sont de plus en plus nombreux à lancer des offres de repas à emporter ou en livraison, même parmi ceux qui ne s’y étaient jamais mis jusque-là. Notons toutefois que pendant cette crise, la livraison pourrait perdre 30% à 40% de son CA, selon Food Service Vision. C’est une forte baisse (contrairement à la rumeur de croissance), mais elle est bien plus faible que celle enregistrée par l’ensemble du marché (environ -75%).
> Des questions complexes… et des chantiers de taille
Face à ces mutations, tous les acteurs de la chaîne de valeur ont besoin de redéfinir leur stratégie, et d’innover sur moult sujets. « Comment vais-je piloter une activité dont le redémarrage sera de toute évidence progressif et segmenté ? » se demandent-ils. La chaîne d’approvisionnement est un marché de temps long qui va pourtant devoir se réinventer rapidement. Restaurateurs et fournisseurs vont devoir dialoguer plus qu’à la normale.
Côté restaurateurs, pour résumer, Food Service Vision évoque 3 grands chantiers :
– revoir son business model : impacts sur le cash, le compte de résultat, le pilotage financier…
– revoir son offre, son service et son expérience : concept, côté opérationnel…
– revoir son marketing : réinventer sa communication, adapter ses messages au contexte…
«L’enjeu n°1 des restaurateurs, c’est de préserver leur trésorerie. Mais une fois que cela sera fait, ils devront se poser tout un tas de questions : Quel est mon modèle post-déconfinement ? Quelle est ma stratégie entre le sur place, la VAE et la livraison ? Pour quel rapport qualité-prix ? Et bien d’autres…» conclut François Blouin, qui reste confiant sur la capacité de rebondissement du secteur.
Par Anthony Thiriet, pour B.R.A. Tendances Restauration
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